Des auteurs se sont amusés à détourner, avec la verve provençale, de grands classiques de la littérature française. Ainsi, cette célèbre fable de Jean de La Fontaine est ici traduite en parler de Provence par Richard Caldi...
Zézette, une cagole de l'Estaque, qui n'a que des cacarinettes dans la tête, passe le plus clair de son temps à se radasser la mounine au soleil ou à frotter avec les càcous du quartier. Ce soir-là, revenant du baletti où elle avait passé la soirée avec Dédou, son béguin, elle rentre chez elle avec un petit creux qui lui agace l'estomac. Sans doute que la soirée passée avec son frotadou lui a ouvert l'appétit, et ce n'est certainement pas le petit chichi qu'il lui a offert, qui a réussi à rassasier la poufiasse. Alors, à peine entrée dans sa cuisine, elle se dirige vers le réfrigérateur et se jette sur
la poignée comme un gobi sur l'hameçon. Là, elle se prend l'estoumagade de sa vie. Elle s'écrie :
- Putain la cagade ! Y reste pas un rataillon, il est vide ce counas !
En effet, le frigo est vide, aussi vide qu'une coquille de moule qui a croisé une favouille. Pas la moindre miette de tambouille. Toute
estransinée par ce putain de sort qui vient, comme un boucan, de s'abattre sur elle, Zézette résignée se dit :
- Tè vé, ce soir pour la gamelle, c'est macari, on va manger à
dache.
C'est alors qu'une idée vient germer dans son teston.
- Et si j'allais voir Fanny, se dit-elle. En la broumégeant un peu je pourrais sans doute lui resquiller un fond de daube.
Fanny c'est sa voisine. Une pitchounette brave et travailleuse qui n'a
pas peur de se lever le maffre tous les jours pour remplir son cabas.
Aussi chez elle, il y a toujours un tian qui mijote avec une soupe au
pistou ou quelques artichauts à la barigoule. Zézette lui rend visite.
- Bonsoir ma belle, coumé sian ! Dis-moi, comme je suis un peu à la
dèche en ce moment, tu pourrais pas me dépanner d'un péton de nourriture ? Brave comme tu es, je suis sûre que tu vas pas me laisser dans la mouscaille !
En effet, Fanny est une brave petite toujours prête à rendre service.
Mais si elle est brave la Fanny, elle est aussi un peu rascous et surtout elle aime pas qu'on vienne lui esquicher les agassins quand elle est en train de se taper une grosse bugade. Ça c'est le genre de chose qui aurait plutôt tendance à lui donner les brègues. Alors elle regarde Zézette la mangiapan et lui lance :
Jean De La Fontaine (1621-1695)
- Oh collègue, tu crois pas que tu pousses le bouchon un peu loin ? Moi ! tous les jours je me lève un tafanàri comaco pour me nourrir. Et toi pendant ce temps-là, qu'est-ce que tu fais de tes journées ?
- Moi ? lui répond la cagole ... J'aime bien aller m'allonger au soleil ! Ça me donne de belles couleurs et ça m'évite de mettre du trompe couillon.
- Ah ! Tu aimes bien faire la dame et te radasser la pachole au soleil, et bien maintenant tu peux te chasper. Non mais ! Qu'es'aco ? C'est pas la peine d'essayer de me roustir parce que c'est pas chez moi que tu auras quelque chose à rousiguer. alors tu me pompes pas l'air, tu t'esbignes et tu vas te faire une soupe de fèves.
Sources : Contes populaires et légendes de Provence. France Loisirs.
Décoration du sapin, cadeaux
Comment fêtait-on Noël autrefois ?
Que sait-on de l'époque où ce n'était pas le Père Noël qui remplissait les souliers et du temps ou les sapins ne s'habillaient pas encore de guirlandes électriques ? On vous dit tout.
Noël arrive et les enfants ne tiennent plus en place. Les vitrines des commerçants se sont faites alléchantes, captivantes, elles suscitent l'envie, appellent aux cadeaux. Mais pendant longtemps, le Père Noël et l'arbre de Noël n'avaient pas leur place dans les traditions provençales ...
Au départ, la légende voulait que le petit Jésus et les Anges apportent aux enfants les présents qu'ils trouvaient le jour de Noël dans leurs souliers. II faut attendre la fin du XIXe siècle pour que le Père Noel entre en scène. Même si les traditions de Noël, telles qu'elles sont connues aujourd'hui en Provence, ont un ancrage historique remontant au-delà du XIIe siècle.
Avant le traditionnel sapin, c'est l'épicéa qui était décoré pour Noël.
En décembre, s'ouvre la période dite « calendale », qui s'étend jusqu'à la fête de la Chandeleur. Marquée par les réjouissances de Noël, elle se trouve rythmée par une série de célébrations et de pratiques traditionnelles, qui puisent leurs origines dans l'histoire de la région.
Tout commence le 4 décembre, jour de la Sainte-Barbe, par la plantation de blé mis à germer dans trois soucoupes, les sietoun. Cette verdure représentait les champs et, bien entretenue, elle laissait présager d'abondantes moissons. Quant à la tradition du sapin décoré, elle n'est apparue que tardivement en Provence.
Bien entretenu, le blé planté à la Sainte-Barbe présageait de bonnes moissons.
Jusqu'au XIe siècle, l'épicéa, arbre de l'enfantement, garni de pommes, noix et objets divers, symbolisait l'arbre du paradis. Le sapin est mentionné comme arbre de Noël pour la première fois vers 1521.
Ce n'est qu'en 1546, lorsque les propriétaires terriens autorisent les villageois à couper des arbres verts pour Noël, au cours de la nuit du 21 décembre, que le sapin entre dans les foyers.
À partir du XVIIe, apparaissent les premiers sapins illuminés.
Avant les guirlandes, les sapins étaient ornés de bougies et de tissu enroulé autour des branches.
Des coquillages remplis d'huile pour illuminer
Sur le littoral, on utilisait des coquillages remplis d'huile à la surface desquelles flottaient des mèches où l'on nouait des chandelles souples autour des branches. Les guirlandes ne viendront qu'après la seconde guerre.
Il est une coutume fort ancienne qui se racontait dans nos campagnes : « Le carillonneur sonnait les cloches pendant un quart d'heure, les huit jours avant Noël, on appelait ça le Nadalet, soit Noël en occitan » Chaque village avait sa manière de sonner le Nadalet. Le carillonneur adaptait la sonnerie rythmique en fonction des cloches qu'il avait à sa disposition pour chaque jour, jouer un petit air de musique.
Le sonneur faisait souvent appel aux enfants du village qui se faisaient une joie de venir sonner et passer un bon moment de rigolade dans le clocher qui leur était habituellement interdit.
Dans les villages, le carillonneur sonnait les cloches les huit jours avant Noël.
Un temps de réconciliation
Le temps de Noël devait être aussi le moment de la réconciliation. On abandonnait ses griefs, ses brouilles anciennes avec sa famille, ses voisins, ses amis, on se donnait l'accolade, on s 'embrassait en signe de pardon.
Avec le fonds superstitieux vivace dans le cœur des Provençaux, chacun croyait avoir manqué à une partie essentielle de son devoir s'il avait résisté, au moment de Calène (Calendes), aux avances d'amitié du parent avec lequel il était en froid. Refuser les offres de réconciliation qu'on nous faisait à cette période portait malheur, dit la voix populaire.
Entre crèche et sapin, les Provençaux ont encore à leur disposition une longue histoire riche en récits sur lesquels se baser pour définir les fêtes de Noël telles qu'elles étaient pratiquées autrefois.
D'après un arcticle de Nelly Nussbaum (Var matin du 23/12/2023)
Et Dieu créa la Cigale ...
Un conte de Provence de Noël
Si la Provence était un son, ce serait le chant des cigales qui, étant l'un des symboles de notre belle région, donne lieu à bien des contes. Voici l'un d'eux, extrait du livre « Contes populaires et légendes de Provence ».
Parmi les bergers qui veillaient dans la nuit de Noël, du côté de Bethléem, se trouvait un jeune tambourinaire venu de Provence. Et lorsqu'apparut l'étoile pour guider les hommes vers la crèche, il fut un des premiers devant le petit Jésus auquel il donna tout naturellement l'aubade. li se dit alors que l'enfant-Jésus battit des mains en écoutant la mélodie du galoubet et le vrombissement du tambourin dont la chanterelle vibrait sans cesse.
Bien des années plus tard, lorsque Jésus vint s'asseoir à la droite de son père après une vie courte mais bien remplie, il lui arrivait de songer à cette nuit de Noël et à la musique qu'il avait entendue pendant que la Vierge Marie le berçait...
Le tambourinaire est toujours présent dans les crèches provençales
Il évoqua ce souvenir avec Dieu le Père, mais malgré tous ses efforts, il ne pouvait lui expliquer à quoi ressemblait une musique de tambourinaire. C'est alors que le Saint-Esprit eut l'idée de passer toute la création en revue et d'écouter tous les cris des animaux, tous les chants d'oiseaux, tous les bruissements d'insectes et même les bulles des poissons.
Le vœu de retrouver sa Provence
Mais, d'après Jésus rien ne ressemblait à ce qu'il avait entendu la nuit de sa naissance ... Alors Dieu le Père se rendit au Paradis et chercha dans la section des musiciens. Il finit par trouver un tambourinaire qui avait fort à faire pour se faire reconnaître au milieu des musiciens du Paradis. Il se désolait de ne pas être entendu ni apprécié sachant que la musique de son instrument valait bien toutes les trompettes célestes. Un jour, un ange vint le chercher de la part du bon Dieu pour qu'il donne un concert privé à toute la sainte famille. Vous pouvez croire que notre musicien ne se fit pas prier pour aller donner l'aubade. Surtout que ce soir-là, ça tombait bien ... C'était Noël et on fêtait l'anniversaire de Jésus ! C'est ainsi que toute la sainte famille put applaudir ce musicien natif de Provence et Jésus lui-même était, comme on dit... aux anges. Pour remercier le tambourinaire, le bon Dieu lui demanda de faire un vœu. Après avoir bien réfléchi, l'homme, ému par ce cadeau divin, dit qu'il aimerait bien revenir en Provence pour y passer l'été.
Mais, l'affaire était grave car il s'agissait de ressusciter quelqu'un, et c'était là une demande insolite. Les élus, les archanges, les prophètes et tous les saints du Paradis furent consultés et ce fut finalement Dieu le Père qui trouva la solution. « Voilà, dit-il au tambourinaire, nous allons te renvoyer sur terre. Seulement tu ne seras plus tambourinaire, mais rassure-toi, tu resteras musicien. À partir de maintenant, on t'appellera cigale. Chaque été, tu seras le musicien du soleil. Tu apparaîtras le 24 juin comme tu vins à Jésus le 24 décembre »
C'est depuis cette décision divine que les cigales commencent à donner des concerts chaque 24 juin en Provence et jouent des mélodies qui résonnent bien plus fort que celles d'un tambourinaire ... Et c'est aussi depuis ce jour que la Saint Jean provençale est baptisée la Noël d'été ...
Dans ce conte de Noël, le tambourinaire fut transformé en cigale musicienne
Source :
« Contes populaires et légendes de Provence ».
Presses de la Renaissance. 1974.